vendredi 4 mai 2018

180*


Ma belle-mère s'en est allée brutalement, à l'orée du printemps. Avec sa disparition, mon mari et son frère sont devenus des orphelins. La tristesse les enveloppe, parfois elle est oppressante, d'autres fois elle relâche son étreinte.

Je n'ai pas été confrontée à la disparition d'un être cher et proche, la vie m'a épargné cette épreuve. Chaque jour, j'essaie d'accompagner mon mari dans son deuil. C'est ma place, je masse son petit cœur blessé en lui murmurant des mots de réconfort.

Dans un deuil, il y a une terrible mission à accomplir, et elle est extrêmement douloureuse. Dans notre situation, ma belle-mère est la dernière défunte. Cela veut donc dire...

Cela veut donc dire que nous devons nous occuper de sa mort matérielle.
Il faut à présent prendre à pleines mains tout ces biens qu'elle, mais aussi son défunt mari et ses fils ont laissé comme trace de leur passage sur Terre. Bien au-delà de la maladie et de son enterrement, nous trouvons cet évènement traumatisant.

Pénétrer dans cette maison familiale sans elle fut outrageux. La vider sera ravageur. Nous avons commencer ce terrible travail une semaine après son enterrement. Elle résidait à 150 kilomètres de chez nous, et nous souhaitons mettre à profit chacun de nos déplacements. La maison sera vendue, elle devra donc être vide.

Je ne vais pas rentrer dans la description de cette tâche. Elle sera remplie. Je veux davantage m'attarder sur les sentiments que cela provoque en moi.

Anne-Marie était une accumulatrice. La mesure et le minimalisme étaient des concepts qui ne gravitaient pas dans son univers. Elle ne jetait rien, et elle stockait. Je pense qu'il y avait au moins deux exemplaires de chaque objets usuels dans sa maison (nous avons même retrouvé deux brosses à dents électriques - ma belle-mère vivait seule). Nous sommes donc confrontés à des MONTAGNES de choses. Et ça a été pour moi un véritable choc :

il est impossible pour moi d'imposer ça aux miens. Je ne veux pas transformer l'endroit où je vis en un tombeau de la société de consommation. Je dois ranger. Je dois cesser d'accumuler. Je dois connaître toutes mes possessions et savoir pourquoi je les garde. Je dois trouver un sens à mon consumérisme.

Cela me va, puisque j'ai entamé ce chemin depuis quelques années. Bon, il y a toujours des moments où je dépense  : j'ai encore beaucoup de mal à me freiner sur les chaussures (j'ai une nouvelle passion, les sneakers) et sur les livres. Mais je n'achète jamais plus d'une paire par saison, et pour les bouquins... pfuit... c'est duuur : Goncourt, BD, Nature sauvage (Aargh, Gallmeister!!!), essais... impossible de se tenir. J'essaie de ne pas faire plus d'un achat par mois, et de me faire offrir les Goncourt.

J'ai toujours des petits coins à bordel à la maison, mais j'essaie de garder mon bureau rangé, je trie et classe mes papiers une fois par vacances, et je lutte pour ne pas garder toutes les cochonneries qui peuvent nous envahir. Cet été, j'ai prévu de faire la déco de notre chambre, et je sais quels rangements vont nous permettre de mieux vivre dans cet espace commun.

Tout va bien. Non, tout allait bien. Parce que mon mari, lui, ne va pas bien, et que cette expérience le traumatise. Il lui faut VIDER la maison de ses parents. Faire ce travail de sélection quasi-divin sur les objets d'une existence.


Il y a les objets de valeurs. Mes beaux-parents étaient amateurs de tableaux et d'objets d'arts. Au delà de leur valeur marchande, ils ont la valeur du sacrifice.

Il y a les meubles. A prendre, sans encombrer notre chez-nous, en choisissant ce que l'on peut assimiler sans se perdre. A donner. A vendre.

Il y a ce qui remplit les placards. Et là, on a envie de pleurer. Parce qu'on touche à l'intime. Très vite, j'ai su que je ne souhaitais pas me laisser déborder. Cela m'aurait rendu malheureuse. Mon mari et mon beau-frère m'ont fait de beaux cadeaux et j'ai choisi des choses neuves et utilitaires, qui n'existaient pas chez moi. Et puis c'est tout.  Maintenant commence le travail d'éloignement. Il est moins douloureux pour moi, mais ça reste un déchirement pour ces garçons de me voir faire des sacs, même s'ils vont dans la famille, chez des amis, à une association pour les réfugiés.


Et puis il y a tout ce qui va être jeté. Je suis tristement curieuse de voir ce que cela va représenter.

On ne devrait pas perdre de vue qu'après nous, une immense partie de ce que nous laissons trouvera le chemin de la poubelle. Finalement, nous passons nos vie à travailler, beaucoup, pour acheter, beaucoup. Puis nous mourrons, et nous jetons DEMESUREMENT.


Plus que jamais, j'ai envie de vivre. Vivre avec les miens, avec ceux que j'aime. Plus que jamais, il est important d'arrêter de remplir nos maisons, et de faire le choix des expériences, du partage et de l'amour. Quand je partirai, je ne veux pas noyer ceux qui restent sous mes possessions, je souhaite juste laisser le doux murmure des souvenirs.

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